D’apparence proche, les notions d’utilité sociale et d’impact social sont régulièrement utilisées sans que l’on sache vraiment ce qui les distingue ou ce qui les rassemble. Pour donner quelques repères, nous avons repris les écrits de référence sur le sujet (Jean Gadrey pour l’utilité sociale et l’Avise pour l’impact social) et comparé quatre évaluations : deux évaluations d’utilité sociale et deux évaluation d’impact social.
Dans les deux cas, on s’attache à regarder les effets produits
Dans la définition qu’il donne de l’utilité sociale en 2004, l’économiste Jean Gadrey parle de « résultats constatables ». L’Avise, dans son guide « Évaluer son impact social » (2022) définit l’impact social comme « l’ensemble des conséquences des activités d’une organisation ». Utilité sociale et impact social visent à priori le même objectif : repérer les effets, les résultats, les conséquences de projets portées par des organisations à plus ou moins long terme. Avec comme finalité l’amélioration des conditions de vie, principalement dans les champs du social (lien social, cohésion sociale, lutte contre les inégalités) et de l’environnement (développement durable, transition écologique). Les quatre études que nous avons consultées sont centrées sur l’objectivation des effets produits.
Des notions qui font référence à des univers de valeur différents
Si, d’un point de vue lexical, ces notions apparaissent proches, leur histoire respective est par contre très différente. Le terme utilité sociale apparait en France en 1973 dans un arrêt du Conseil d’État pour justifier l’exonération fiscale des associations, puis se développe à partir des années 90 comme un moyen pour les actrices et les acteurs du champ associatif d’affirmer leur valeur et obtenir une reconnaissance à part entière, aux côtés des secteurs marchand et public. Une manière de sortir de la critique récurrente faite aux associations : « Ça coûte cher, mais on ne voit pas très bien à quoi ça sert ! ». La loi de 2014 sur l’Économie Sociale et Solidaire va permettre d’officialiser la notion d’utilité sociale.
Le terme impact social se développe quant à lui dans le monde philanthropique anglo-saxon lorsque de grandes fondations américaines ont souhaité mesurer leur « rendement social » et va se répandre progressivement en France. Ici, ce n’est pas la valeur social des associations, à partir de leurs plus-values qui est mise en avant, mais la performance de projets, dans une sorte d’isomorphisme avec l’entreprise lucrative.
L’analyse des quatre études
Dans les études d’impact social, le terme utilité sociale n’apparait jamais, tandis que dans les deux études d’utilité sociale, le terme impact social apparait pour des raisons différentes. Pour la CRIC, il semble que ce soit une forme de synonyme : « La coopérative CRIC a décidé de réaliser une étude d’impact sur l’utilité sociale des coopératives de jeunesse », tandis que pour Culture et Promotion, l’impact est un indicateur parmi deux autres qui permettent de rendre compte de l’utilité sociale : « Le référentiel comprend des indicateurs de réalisation (ce qui est fait), de résultat (ce que cela produit directement) et d’impact (ce à quoi cela contribue) ».
D’un point de vue des méthodes utilisées, on constate la présence récurrente des questionnaires qui permet de quantifier les effets, le plus souvent révélés préalablement avec des entretiens ou des focus-groupes. D’autres méthodes sont utilisées comme l’analyse documentaire ou des données statistiques. Les approches peuvent être interne, externe ou hybride (avec des degrés variable de participation). Concernant les finalités visées, qu’elles s’appellent impact social ou utilité sociale, se sont des évaluations qui sont centrées sur les effets. Comme toute évaluation, elles sont dépendantes des moyens qui y sont consacrés (budget, temps imparti, équipe d’évaluation…) et des contraintes qui pèsent sur chaque projet (mobilisation des parties-prenantes, données disponibles…). Cette brève analyse ne permet pas d’identifier des méthodes ou des processus d’évaluation qui soient propres à l’utilité sociale ou à l’impact social, probablement parce que d’un point de vue lexical, elles sont trop proches. Mais alors, pourquoi des associations comme La cloche et Positive Planet privilégient-elles des études d’impact social plutôt que d’utilité sociale ? Probablement parce que l’impact social tend à s’imposer comme la norme en matière d’évaluation, comme le montre le sommet de la mesure d’impact, porté Impact Tank et à l’initiative du groupe SOS (on notera, sur le site d’Impact Tank, la très faible mise en avant, pour ne pas dire d’absence, de référence à la loi de 2014, à la notion d’utilité sociale et à l’agrément ESUS).
L’enjeu des modes de régulation
Paru en mars 2023 dans Alternatives économiques, l’article Esla Sabado intitulé « Les associations ne veulent pas devenir des entreprises comme les autres », constate : « De plus en plus soumises à des logiques de marché qui déciment nombre d’entre elles, une vingtaine d’associations s’unissent pour s’opposer à la monétisation de leur « impact social » et à la mise en place de « contrats à impact social ». Les subventions sont donc envisagées comme des entraves à la concurrence libre et non faussée et tendent à être remplacées par des procédures de marchés publics, qui mettent les associations en concurrence. Ainsi, plutôt que d’accorder une subvention annuelle à une association, une collectivité va émettre des appels d’offre sur des actions ciblées. Les associations doivent répondre à ces marchés, multiplier les candidatures pour arriver à boucler leurs budgets, sans avoir jamais la garantie d’obtenir ces financements ».Ce point de vue est largement développé dans l’ouvrage « Du social business à l’économie solidaire – Critique de l’innovation sociale ». Si dans le contenu des évaluations produites on ne peut tracer une ligne claire entre impact social et utilité sociale, on peut par contre en tracer une sur la manière dont s’opèrent les conventionnements entre associations et pouvoirs publics. Il sera intéressant de voir comment cette régulation évolue dans les années à venir.
Pour notre part, il nous semble important de revendiquer la notion d’utilité sociale, et de porter des projets d’évaluation de l’utilité sociale en tant que tel, car c’est cette notion qui est inscrite dans la loi de 2014 relative à l’Économie Sociale et Solidaire. Sa finalité est la reconnaissance de la valeur d’un projet associatif, objectivée par une évaluation. Nous souhaitons réserver l’évaluation d’impact social à des projets spécifiques et non à une organisation dans son ensemble.
La définition de Jean Gadrey de l’utilité sociale
« Est d’utilité sociale l’activité d’une organisation de l’économie sociale qui a pour résultat constatable et, en général, pour objectif explicite, au-delà d’autres objectifs éventuels de productions de biens et services destinés à des usages individuels, de contribuer à la cohésion sociale (notamment par la réduction des inégalités), à la solidarité (nationale, internationale ou local : le lien social de proximité) et à la sociabilité, et à l’amélioration des conditions collectives de développement humain (dont fait partie l’éducation, la santé, l’environnement et la démocratie) »
Jean Gadrey : L’utilité sociale des organisations de l’économie sociale et solidaire – 2004
Sources :
Jean Gadrey : L’utilité sociale des organisations de l’économie sociale et solidaire – 2004
L’Avise : Évaluer son impact social
Elsa Sabado : « Les associations ne veulent pas devenir des entreprises comme les autres » dans Alternatives économiques – 2023
M. Juan, JL Laville, J. Subirats : Du social business à l’économie solidaire – Critique de l’innovation sociale – 2020.
Évaluation d’impact social du Carillon – Agence Phare – 2019
Rapport d’impact Positive Planet France – (IM)PROVE) – 2020
Évaluation de l’utilité sociale de cinq structures de médiation sociale – Culture et Promotion – 2008
Étude sur l’utilité sociale des coopératives jeunesse de services – Coopérative Le Cric – 2023