
D’apparence proche, les notions d’utilité sociale et d’impact social sont régulièrement utilisées sans que l’on sache vraiment ce qui les distingue ou ce qui les rassemble. Pour donner quelques repères, nous avons repris les écrits de référence sur le sujet (Jean Gadrey pour l’utilité sociale et l’Avise pour l’impact social) et comparé quatre évaluations : deux évaluations d’utilité sociale et deux évaluation d’impact social.
Dans les deux cas, on s’attache à regarder les effets produits
Dans la définition qu’il donne de l’utilité sociale en 2004, l’économiste Jean Gadrey parle de « résultats constatables ». L’Avise, dans son guide « Évaluer son impact social » (2022) définit l’impact social comme « l’ensemble des conséquences des activités d’une organisation ». Utilité sociale et impact social visent à priori le même objectif : repérer les effets, les résultats, les conséquences de projets portées par des organisations à plus ou moins long terme. Avec comme finalité l’amélioration des conditions de vie, principalement dans les champs du social (lien social, cohésion sociale, lutte contre les inégalités) et de l’environnement (développement durable, transition écologique). Alors que jusque-là, l’évaluation semblait être un angle mort de l’action associative (à l’exception des associations du secteur social et médico-social avec les lois de 2002 et 2007 sur les obligations d’évaluation interne et externe, récemment actualisées avec un nouveau référentiel), les notions d’impact social et d’utilité sociale participent à mettre les pratiques de l’évaluation sur le devant de la scène.
Des notions qui font référence à des univers de valeur différents
Si, d’un point de vue lexical, ces notions apparaissent proches, leur histoire respective est par contre très différente. Le terme utilité sociale apparait en France en 1973 dans un arrêt du Conseil d’État pour justifier l’exonération fiscale des associations, puis se développe à partir des années 90 comme un moyen pour les associations d’affirmer leur valeur et obtenir une reconnaissance à part entière, aux côtés des secteurs marchand et public. En 2004, l’économiste Jean Gadrey publie une analyse de 38 rapports de recherche qui va participer à instituer la notion d’utilité sociale. Il propose une définition (voir plus bas) qui va fortement influencer celle inscrite dans la loi de 2014 sur l’Économie Sociale et Solidaire.
Le terme impact social se développe quant à lui dans le monde philanthropique anglo-saxon lorsque de grandes fondations américaines ont souhaité mesurer leur « rendement social » et va se répandre progressivement en France. Ici, ce n’est pas la valeur social des associations, à partir de leurs plus-values qui est mise en avant, mais la performance de projets, dans une sorte d’isomorphisme avec l’entreprise lucrative. Paru en mars 2023 dans Alternatives économiques, l’article Esla Sabado intitulé « Les associations ne veulent pas devenir des entreprises comme les autres », constate : « De plus en plus soumises à des logiques de marché qui déciment nombre d’entre elles, une vingtaine d’associations s’unissent pour s’opposer à la monétisation de leur « impact social » et à la mise en place de « contrats à impact social ».
Le choix de Focus
Cela étant dit, en matière d’évaluation, la notion d’impact social tend à s’imposer comme le montre le sommet de la mesure d’impact, porté Impact Tank et à l’initiative du groupe SOS (on notera, sur le site d’Impact Tank, la très faible mise en avant, pour ne pas dire d’absence, de référence à la loi de 2014, à la notion d’utilité sociale et à l’agrément ESUS). Pour notre part, il nous semble important de revendiquer la notion d’utilité sociale, et de porter des projets d’évaluation relatifs à l’utilité sociale des associations, car c’est cette notion qui est inscrite dans la loi de 2014 relative à l’Économie Sociale et Solidaire. Nous limitons l’usage de l’évaluation d’impact social à des projets spécifiques et non à une organisation dans son ensemble.
La définition de Jean Gadrey de l’utilité sociale
« Est d’utilité sociale l’activité d’une organisation de l’économie sociale qui a pour résultat constatable et, en général, pour objectif explicite, au-delà d’autres objectifs éventuels de productions de biens et services destinés à des usages individuels, de contribuer à la cohésion sociale (notamment par la réduction des inégalités), à la solidarité (nationale, internationale ou local : le lien social de proximité) et à la sociabilité, et à l’amélioration des conditions collectives de développement humain (dont fait partie l’éducation, la santé, l’environnement et la démocratie) »
Jean Gadrey : L’utilité sociale des organisations de l’économie sociale et solidaire – 2004
Sources :
Jean Gadrey : L’utilité sociale des organisations de l’économie sociale et solidaire – 2004
L’Avise : Évaluer son impact social
Elsa Sabado : « Les associations ne veulent pas devenir des entreprises comme les autres » dans Alternatives économiques – 2023
M. Juan, JL Laville, J. Subirats : Du social business à l’économie solidaire – Critique de l’innovation sociale – 2020.
Évaluation d’impact social du Carillon – Agence Phare – 2019
Rapport d’impact Positive Planet France – (IM)PROVE) – 2020
Évaluation de l’utilité sociale de cinq structures de médiation sociale – Culture et Promotion – 2008
Étude sur l’utilité sociale des coopératives jeunesse de services – Coopérative Le Cric – 2023